Des potes m'ont envoyé un lien vers un groupe pour la vf de Dungeon World, je crois que ca a commencé comme cela. J'ai essayé de me procurer Apocalypse World, mais c'était difficile, et l'exemplaire d'occasion que j'ai acquis a vite perdu ses pages, me décourageant à jamais de sa lecture. Heureusement, ensuite il y a eu The Sprawl. Et puis des traductions françaises qui ont commencé à arriver par la Caravelle. Acritarche et son guide de Dungeon World, pour nous ré-exquilibrer comment prendre en main le moteur de l'Apocalypse, et s'adonner au narrativisme avec des repères. Aujourd'hui, 500 Nuances de Geek a publié de nombreuses références en français, d'autres auteurs suivent leur propre voie, et Kickstarter continue de porter des projets indie enthousiasmants. C'est sans doute l'ère de la maturité qui arrive. Jadis limité à des playbooks, les livres de règles d'un jeu "pbta" ne cessent de gonfler en pages, dépassant largement les ouvrages parfois minimalistes du mouvement OSR (Old School Renaissance, comprenez D&D 40 ans plus tard). Et j'en suis heureux, car les concepts de ces jeux ne coulent pas de source.
Pour moi, la vague des jeux narrativistes a amené les concepts informatiques sur nos tables de jeu. Ayant pratiqué quelque temps FATE, j'ai été frappé de voir que ma culture du développement informatique m'avantageait outrageusement à "créer des variables nommées" et à les "supprimer après usage". A l'inverse, le rôliste moyen est vite perdu dans ces critères mouvants et abstraits, a contrario d'un bon vieux couple caractéristique et compétence. Et si FATE a fini par me décourager à vouloir mixer l'approche traditionnelle et ces éléments mutagènes, les jeux propulsés par l'Apocalypse continuent de m'inspirer. Certes, nous sommes là encore dans un cadre assez confortablement pour un développeur en informatique, avec les actions conditionnelles, la gestion du hasard, la réponse réactive du MJ, les liens qui relient les objets aux autres, et surtout au résultat très scripté de la narration, mais la réussite des PJs y est beaucoup plus simple. L'étiquettage pas forcément systématique. La mécanique reste légère. La promesse maintenue.
Il existe un article résumé de ce qu'est un jeu propulsé par l'Apocalypse, qui vous dresse le panomara des traits communs de tous les jeux estampillés pbta. Le maître à penser des éditions 500 Nuances de Geek nous résume les différences d'avec le jeu traditionnel de cette manière.
Ce que les jeux "apocalypse" partagent avec les JDR tout d'abord :
Ils ont le même objectif: créer et vivre une histoire. Tout ça grâce à un système de regles, qui vu de loin, sert à réguler la parole et la création de chacun.
Les joueurs incarnent un personnage, avec une fiche de personnage.
Il y a un "Maitre de jeu" qui à le même champ de compétence. Les joueurs décrivent ce qui les concerne, et le Maitre de jeu à le dernier mot sur tout le reste de l'univers. Au sens propre, il n'y a donc pas plus ou moins de "narration" partagée, comme disent les rolistes, que dans un autre jeu de rôle.
C'est nécessaire et suffisant pour faire d'eux des jeux de rôles. Mais pourtant, il y a des différences très importantes. Ci-dessous celles qui interessent les non joueurs :
il n'y a pas de préparation. Ni de scénario (et pour cause, il n'y en a pas), ni de personnage (qui sont réalisés en cochant des options). Jouer est très rapide. Pour autant...
Il n'y a pas a "faire preuve d'imagination". Cette simplicité ne repose pas sur un "systeme simplifié" qui fait appel à votre sens de l'improvisation. Au contraire, tout repose sur le système, notamment les actions de vos personnages
Le Maitre de jeu est aussi un joueur : il respecte les regles, tous comme les joueurs, et il prend part a leur aventure.
On a pas à apprendre les règles : En tant que joueur, les regles sont "naturelles". On est un voleur qui veut couper une bourse. On annonce qu'on coupe une bourse et on jette les dés. On se fie ensuite aux résultats codifiés par l'action, compréhensible immédiatement.
On a pas à rentrer (en général) dans un "univers" : ces jeux sont basés non pas sur un univers, mais sur une problématique, un genre. Par exemple, survivre dans un monde marqué par la pénurie. Le pourquoi du hors champs n'est pas utile, il est créé au fur et à mesure du jeu. Il n'y a donc rien à "apprendre" non plus de ce coté là. Ni plus, ni moins que lorsqu'on regarde une série...
Les personnages priment sur l'histoire : Finalement, c'est peut être le plus important. Alors que dans la majorité des jeu de roles classique, le "scénario" préparé par le MJ est premier, ici, ce sont les joueurs et leurs personnages . Si les JDR classiques sont plutot des films, les jeux pbta sont ainsi plus proches des séries télé, des "drama".
Je trouve que son rappel que les jeux ne sont pas basés sur un univers mais sur une problématique est très importante à retenir, car parfois le jeu met en avant un type d'univers bien précis. Par exemple, Apocalypse World vous promet d'émuler un monde post-apocalyptique. The Sprawl vous promet de retranscrire un monde cyberpunk. Néanmoins, la mécanique va vous aider surtout à jouer narrativement ce principe des missions que nous connaissons bien dans le genre cyberpunk. Si vous vouliez aller sur un road-movie dans les années 2050, la mécanique peut vite se retrouver contre vous. Le carcan déjà défini pour vous est clé en mains : les personnages ont déjà une silhouette que vous allez personnaliser, mais de grosses modifications sur les règles peuvent engendrer des effets imprévus et souvent indésirables. C'est ce qui fait que beaucoup de joueurs actifs sur les jeux pbta finissent par proposer leur propre "hack" d'Apocalypse World : non seulement c'est facile, mais c'est aussi la seule vraie manière de sortir d'un jeu auquel on a déjà pas mal joué. On dit que le jeu pbta est plus proche des séries TV, et bien justement quand on ne fait que regarder des séries avec les mêmes ressorts scénaristiques, on peut se lasser plus vite que de regarder de nombreuses séries sur le même thème (les zombies par exemple), mais avec une structure narrative complètement différente.
On présente parfois le moteur de l'Apocalypse comme le renouveau du jeu de rôles, et en réponse de nombreuses levées de boucliers viennent poser des limites à cet enthousiasme. Sur le grog, on peut trouver cette critique.
Je suis sans doute dans un groupe particulier, qui joue depuis plus de 30 ans. On a bouffé du sans dé, sans règle dans les années 80. Les interactions entre personnage est une évidence pour eux. Ils n'ont pas besoin d'un jeu et d'un archétype pour les diriger (contrainte serait plus précis). La question a donc été rapidement : mais c'est quoi le jeu ? On fait du théatre d'improvisation aujourd'hui ? C'est bizarre le théatre d'impro assis autour d'une table en faisant semblant d'être du jdr... (oui, la plupart d'entre eux ont aussi fait de l'impro).
La personne qui a fait cette critique a lu le jeu avec sa grille de lecture, et n'a sans doute pas fait tout l'effort nécessaire pour comprendre ce qui lui était proposé. Une partie d'un jeu pbta est très scriptée. A l'inverse de l'improvisation, les règles font qu'invariablement vous allez revenir sur les actions définies pour votre personnage, même si le récit a pu vous emmener pendant un très long moment dans une zone libre où vous avez raconté n'importe quoi. A titre personnel ce sont plutôt ces rails qui me dérangent par moments, notamment le fait de devoir définir des liens entre les PJs avant même de les avoir croisé en jeu, j'ai beaucoup de mal avec cet aspect, mais je comprends son utilité narrative pour bâtir le récit commun. Je rejoins donc sa critique quand il parle de contrainte : on peut voir les règles du pbta comme beaucoup trop limitantes là où, dans un jeu traditionnel, on pourrait s'en libérer avec un bon jet de dé.
Dans une interview sur Youtube, Khelren évoque le fait qu'une partie d'un jeu motorisé à l'Apocalypse n'est pas très différente d'une partie avec un jeu traditionnel. Le MJ fixe toujours le décor, les PJs réagissent aux obstacles comme ils le font généralement, l'équilibre de jeu n'est pas si bouleversé. Ceux qui s'attendent (ou qui redoutent) d'être 4 heures ou plus en impro totale peuvent s'attendre à une déception, même s'il faut garder le cerveau alerte et bien oxygéné. Par contre, la phase de création de décor est inédite, elle amène d'ailleurs parfois du doute, de la gêne, et peut énormément frustrer le MJ. D'ailleurs dans un jeu motorisé à l'Apocalypse, le MJ est celui qui subit le plus de changements importants dans son rôle. Il n'a plus de PNJs mais des outils pour réagir face aux joueurs et faire rebondir le récit, il ne maîtrise pas l'univers de jeu puisqu'il est défini au début par les joueurs, et il ne peut pas vraiment non plus tricher derrière le paravent. C'est sans doute la raison pour laquelle on incite ceux qui veulent se lancer dans la maîtrise d'un jeu pbta à être joueur d'abord.
Si vous souhaitez vous mettre à des jeux propulsés par l'Apocalypse, je vous conseille tout d'abord de rester aux jeux en langue de Molière, parmi lesquels : Dungeon World, The Sprawl, Masks, et Urban Shadows. Les vétérans du genre apprécient beaucoup Monterhearts, mais qui n'a jamais été réédité et qui reste réservé à un public d'esthètes torturés. Pour ma part, c'est sur Dungeon World que j'ai quelques réserves, sans doute parce que je n'ai jamais apprécié les donjons : complexifier les playbooks avec de la gestion de points de vie et autres éléments singeant D&D ne fait pour moi qu'alourdir un moteur censé être souple et rapide. Malgré tout, si vous l'aimez vous aurez plusieurs suppléments à disposition (dont le fameux Class Warfare qui m'effraie catégoriquement) et les campagnes de financement d'Acritarche. Kickstarter propose de son côté chaque année de nouveaux hacks, et 500 Nuances de Geek poursuit son oeuvre à travers la caravelle et de nombreuses parutions annoncées. Il y en a pour tous les styles, la seule chose qui reste à savoir est : est-ce que vous êtes un joueur pro-actif ?
Comments
No comments yet. Be the first to react!