Après avoir été écologiste depuis ma découverte du mot dans la lecture de Dune, je suis devenu effondriste depuis quelques mois. Avec de telles lunettes, on ne voit plus le jeu de la même façon.
La plupart des rôlistes sont des geeks radicaux, technophiles et athées. Je m'étonne toujours que parmi cette population notamment (mais pas que), cet amour pour la science qui leur fait détester l'homéopathie et les médecines parallèles ne se propage pas à l'étude du climat ou de la biodiversité. Aujourd'hui, alors que l'emballement climatique se voit tous les jours (ce matin, le monde titre sur la disparition de neige au Gröenland), mes amis joueurs continuent d'acheter ou de produire des figurines en kiloplastique en chine, de se conseiller des séries sur Netflix et de sauter sur tous les projets en crowdfunding qui passent. A chacun sa dissonnance cognitive, j'ai bien sur mes propres contradictions, j'aimerais juste qu'ils mettent autant de hargne à remettre en question leur consommation ludique qu'à vouloir imposer la médecine allopathique.
Au delà des gens avec qui on joue, les jeux eux-même ne peuvent plus se lire de la même façon à l'aune du rapport Meadows et des analyses du GIEC. Les jeux futuristes notamment, où l'hypothèse transhumaniste est très souvent plébiscitée, où les limites finies de nos ressources terrestres ne sont jamais abordées, et ou même les timeline démontrent une inculture de la géopolitique assez crasse. Là encore, on peut s'étonner que des rôlistes qui apprécient tant de fouiller l'histoire avec beaucoup de détails pour concevoir leurs scénarios n'aient pas plus de curiosité sur la constitution politique des nations et le lien entre les ressources énergétiques et les décisions des puissants. Je dis ça, j'ai été dans le lot à garder mes oeillères et à me complaire dans l'ignorance.
L'attitude plaintive mise de côté, trouver des jeux de rôles compatibles avec la théorie de l'effondrement va vous demander des efforts. Malheureusement, une fois que les données scientifiques sont dans vos têtes, vous ne pouvez décemment plus proposer à vos joueurs une campagne qui piétine votre connaissance (même limitée) du climat ou de l'épuisement des ressources carbonées. Mais dans le même temps, comment s'asseoir à une table de jeu et ne pas paraître rabat-joie, voire militant ? Chose amusante, les univers cyberpunk qui sortent aujourd'hui en tant que rééditions de vieux jeux (Cyberpunk, Berlin XVIII, ...) se présentent volontiers comme des uchronies plutôt que comme de l'anticipation. Alors, oui, le réalisme écologique n'est pas une obligation dans toutes les parties. Toutefois, la dissonnance cognitive de s'asseoir à une table et d'imaginer des mondes en futur proche qui ne remettent jamais en question le néo-libéralisme et le transhumanisme parce que c'est "cool", moi ca me gonfle. Et cela montre que finalement le jeu de rôles est très enraciné dans un monde occidental aisé blanc masculin et pas si capable d'imaginer que cela. Les débats sur le féminisme ou la carte X ne font que renforcer mon impression d'un loisir qui, comme la collapsologie, n'a rien d'universel.
Pourtant, à une époque, science-fiction et jeu de rôles faisait bon ménage. A forces de traductions et de soumission au divertissement américain, nous avons oublié que nous avons en France de très bons auteurs d'anticipation et de SF. Nous avons cédé à l'imaginaire tapageur et consumériste, alors que nous pourrions glorifier ceux qui essaient de penser de nouveaux rapports avec le futur. Les éditions La Volte dépoussièrent le débat du rôle hautement politique de la SF, et son utilité à créer des imaginaires qui font rêver. Pour reprendre l'argumentaire de l'écologiste Cyril Dion, nous avons besoin de créer de nouveaux récits pour permettre à un grand nombre de français de se projeter dans un futur écologique désirable.
Au niveau ludique, les jeux de rôles narratifs, à création partagée, permettent de créer des histoires autour d'un effondrement possible, sans casser les mécaniques de jeu ou l'intérêt de la partie. Evidemment, les joueurs doivent tous être partants pour se lancer dans cette aventure parfois démoralisante. La gamme de jeu Legacy : life among the ruins m'apparait aujourd'hui comme la plus intéressante pour l'exercice.
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