La reconnaissance d’un art au sein du web.
Actuellement reconnu comme un élément central et omniprésent du web, l’apparence qu’on donne aux pages web n’a pas toujours eu l’importance qu’on lui connaît. En effet, les années 90 ont vu se développer plusieurs technologies. Là où le seul design possible était celui permis par les caractères à disposition et leur indentation, qu’on connaît actuellement sous le nom d’« ASCII Art » [ASCII American Standard Code for Information Interchange], la naissance du Javascript en 1995 et l’âge d’or de la technologie flash de la fin des années 90 jusqu’à l’apparition de l’Iphone en 2007 (Apple ayant décidé d’abandonner cette technologie pour le développement de l’Iphone) fut un grand moment de découverte, de recherche et d’excentricité dans le webdesign, ces technologies étaient alors majoritairement utilisées sur des sites personnels.
Avant de favoriser l’épanouissement du web design avec l’apparition du CSS et de la séparation entre le contenu et sa forme, la structuration simple de la page HTML a su convaincre et fédérer des individus qui maintiennent un discours rationnel mais peu esthétique sur l’inutilité du webdesign (hors HTML). Ce dernier pouvant noyer ou affaiblir le message que souhaiterait porter l’émetteur. En ce sens, le design serait perçu uniquement comme un bruit encombrant la transmission d’un message dans le canal. On peut encore citer quelques sites (et webmasters) qui refusent cette évolution du web. Pour cela, nous pouvons nous rendre sur le site personnel de Richard Stallman, ou alors sur le site de la fondation GNU dont les aspects graphiques sont restés rudimentaires et correspondent aux normes de mise en page HTML, les rares aspects graphiques se limitant à l’usage de l’italique, du gras et du soulignage. Cette volonté de vouloir faire perdurer une certaine vision du web (au sens propre et figuré) est souvent décrite comme au mieux nostalgique ou au pire réactionnaire. Ces défenseurs refusent l’usage de la mise en forme et des nouveaux éléments graphiques permis par les nouvelles technologies du web. Mais derrière les apparences, c’est la métaphore de l’encombrement du canal qui reste une question centrale.
Avec l’arrivée du CSS en 1998, le contenu est séparé de la forme, l’un et l’autre peuvent être modifiés sans que l’un et l’autre n’en soient durablement affectés. Sur le plan technologique, cette scission permet au navigateur d’accélérer le temps de chargement (le fichier css n’est chargé qu’une fois). De plus, débarrassé des éléments de mise en formes dans le fichier HTML, ce dernier s’affiche plus rapidement.
Tous ces éléments ont contribué à favoriser l’épanouissement d’un design propre au web. Des sites qui, pour beaucoup, pourraient être datés depuis leur apparence et leurs fonctionnalités. Suivant à la fois des tendances esthétiques faisant effet de mode, mais aussi des courants plus profonds structurant une certaine perception du web (qu’il s’agisse des CMS ou des librairies d’éléments web préfabriqués tel Bootstrap) le webdesign est devenu lui-même un élément de standardisation poussé par le web social et par la généralisation des smartphones - la recrudescence du scrolling en est l’un des symptômes les plus visibles. Dans cette prolifération souvent nommée « démocratisation » du web, il semble cependant que ce soit un certain design qui se soit imposé. Car le mot design recouvre une quantité importante de définitions, pouvant parfois s’annuler entre elles : « Au risque de vous décevoir, cher lecteur, il est impossible de donner une définition unique et faisant autorité terme central de ce dictionnaire - design » [M. Erlhoff, T. Marshal (dir.), Design Dictionary, Basel, Boston, Berlin, Birkhäuser, 2008, p. 104]
Pour surmonter cette difficulté, il nous faut comprendre les deux tensions historiques qui animent les réflexions autour du design. Tout d’abord, le design tel que nous le connaissons a été façonné par la révolution industrielle. Même si des positions philosophiques divergent entre sa dimension fonctionnaliste (centrée sur l’utilité économique et l’optimisation du coût de fabrication) et sa dimension humaniste (centrée sur une utilité sociale partagée), il est toutefois possible de trouver le point de bascule historique qui anime la définition de ce terme étroitement lié au modèle productiviste :
« Selon lui [Klaus Krippendorff], les grands mouvements intellectuels qui ont nourri le design au cours du XXème siècle ont disparu et le grand consensus de l’esthétique industrielle fonctionnaliste s’est effondré, laissant la place à des « préoccupations plus sociales, politiques et culturelles, telles que la durabilité écologique et l’identité culturelle ». [K. Krippendorff, 2006, introduction, p. XVII.]
Fondées sur la promesse des nouvelles technologies, de nouvelles conceptions du monde (intelligence artificielle, sciences de la communication, etc.) de nouvelles approches (design management, design d’interaction, etc.) sont apparues, faisant apparaître une « société nouvelle ». [S. Vial, Le design. Presses Universitaires de France, 2017]
Avec son héritage esthétique (français) et son héritage mercatique (américain), le design a fait l’objet d’une bataille terminologique dont le choix a affecté sa sémantique et donc le sens qu’on lui porte : de l’esthétique industriel au design industriel. Dans cette évolution qui jalonne le XXème siècle, le webdesign trace des perspectives singulières. L’apparition des frameworks et l’usage des grilles depuis 2007 ont structuré une forme de standardisation des pages web. Les boutons, les barres de navigation, l’emplacement des icones propres aux réseaux-sociaux, tous ces éléments ne se sont pas imposés comme une évidence apparue ex nihilo. Deux grands points de ruptures jalonnent cette évolution.
D’abord, l’apparition de l’Iphone puis des smartphones ont conduit les développeurs à adapter leurs langages de programmation web avec le responsive. Le tournant notable de cette adoption technologique est l’article d’Ethan Marcotte : « Responsive Web Design » paru en 2010 sur le site « A List Apart ». Le Responsive Web Design permet, via l’utilisation de point de rupture dans le CSS, d’adapter l’affichage d’une page à la taille de l’écran de l’appareil. Ce design web a contribué à la standardisation des pages et des interfaces dans la mesure où (pour la grande majorité) les différents affichages sont des déclinaisons du design parent. On parlera de mobile-first lorsque la déclinaison du design se fait depuis un terminal mobile, et on parlera de desktop-first lorsque la déclinaison se fait depuis un terminal affichant un bureau.
Ensuite, la croissance exponentielle du web social et des plateformes – telles que Myspace et les blogs personnels – a contribué à familiariser les utilisateurs à des espaces de production de contenu à la fois similaires dans leur forme et différents dans leur substance. Puis, Facebook ou encore Twitter ont entériné ces similarités et les ont élevé au rang de standard en matière d’apparence.
Mais ces évolutions du web design n’ont rien de fortuit, elles ont été pensées, développées, façonnées en tenant compte des réflexions et des travaux préalables du design et de l’ergonomie. Le modèle économique de ces plateformes est structuré depuis le nombre d’utilisateurs et leur temps de présence. En fournissant du contenu, les utilisateurs de ces plateformes sont à la fois public et producteur. Ensuite, la vente d’encarts publicitaires conditionne ces espaces du web à jouer avec l’attention des utilisateurs afin de les maintenir présents, attentifs, à l'affût des notifications qu’elles soient visuelles, tactiles ou sonores.
Cette recherche d’une présence constante de l’utilisateur donnant de son temps et de ses capacités cognitives a sonné l’apogée du trafic comme principal élément de valorisation marchande. Dans cette course au trafic, l’histoire du web design rejoint l’une des périodes de l’histoire du design, celle du design industriel américain dans lequel la standardisation et la production en série (pensons à la similarité des interfaces web basées sur des templates de pages préfabriquées) a vu naître le design comme une réponse à la vente en masse. Dans notre cas, ce modèle du fonctionnalisme mercatique réalise massivement des produits à vendre au plus grand nombre. Pour cela, le produit n’est pas suffisant, il faut qu’il soit attrayant, saillant. Nous voyons alors comment le design industriel s’est joint au design :
« Ce qu’attend le marketing du design est justement de projeter un univers de signes sur des produits pour induire des critères d’achat qui ne soient plus de l’unique ressort de la fonction [...]. En ce sens, le design semble relayer le projet marketing, qui est d’enrober de sens les objets de consommation en projetant des significations émotionnelles et imaginaires pour accroître leur désirabilité et leur valeur perçue. » [B. Heilbrun, Le marketing à l’épreuve du design, in F. Flamand (dir.), 2006, p. 106]
A première vue, le parallèle fait avec le modèle mercatique n'apparaît pas comme une évidence, car le design web n’a pas pour seule finalité de produire un univers de signes pour induire des critères d’achat hors de toute fonction. Il ne s’agit plus de critères d’achat, mais de critères de présence et de navigation produisant du trafic. Ces derniers peuvent conduire à l’achat dans certains cas, mais il ne s’agit plus du principal objectif.
Cette recherche du trafic a conduit à l’élaboration d’interfaces dédiées à personnaliser les recherches et les attentes des utilisateurs. Il s’agit moins de répondre à des attentes individuelles qu’à les créer par des parcours de navigation privée (pensons aux recommandations faites par Amazon ou aux potentiels « amis » recommandés sur Facebook). Ces plateformes utilisent alors nos biais cognitifs en usant d’un pouvoir de persuasion largement défini par les recherches en psychologie sociale, en ergonomie et enfin en UX Design. Ces outils de persuasion agissent à travers différentes formes : en réduisant et en simplifiant les comportements en ligne, en guidant l’utilisateur, en s’adaptant aux besoins de l’utilisateur, en suggérant des comportements aux moments opportuns (technique du pied dans la porte), en aidant les utilisateurs dans le comportement à adopter, en lui permettant de se comparer aux autres et en utilisant des renforcements positifs pour justifier ses comportements et les transformer en habitudes.
Ces outils de persuasion sont tout de même imparfaits, et cela pour au moins deux raisons. D’abord, ils s’inscrivent ici dans le cadre d’un modèle comportemental occidental relatif (ce qui marche pour un utilisateur ne fonctionne peut-être pas pour un deuxième). Ensuite, nous devons tenir compte de l’environnement visuel et sonore qui accompagne ces techniques et les finalités qu’elles supposent (achat ou rencontre, instrument commercial ou relationnel, plateforme avec valorisation économique ou issue d’une forme dérivée du logiciel libre). C’est avec ces outils abstraits que le design web a accompagné les plateformes dans leur quête de visibilité. Les éléments notables des techniques de maintien de l’attention relèvent le plus souvent de la notification, un instrument qui s'épanouit majoritairement par l’intermédiaire du smartphone. En alliant un affichage contrasté (du rouge sur du bleu par exemple), un élément sonore aigu et enfin une ou plusieurs vibrations, nous pouvons dégager un design général de la notification recouvrant au moins trois des cinq sens humain.
Dans le développement des interfaces web, le travail de l’UX design (user experience design) est le point de rencontre légitime reliant nos principales préoccupations. Destiné à anticiper les besoins et les attentes des utilisateurs pour rendre une interface efficace, accessible et facile à appréhender, l’UX design s’appuie à la fois sur les structures cognitives des utilisateurs, leurs comportements et leurs habitudes en les adaptant à leurs besoins. Toutefois, force est de constater que l’UX design peut être utilisé à des fins de manipulations des utilisateurs en suivant les différents biais que nous avons exposé.
Errance marchande et pollution
Largement utilisé par les entreprises web dont le modèle économique est celui du trafic, l’UX design a lui aussi marché dans les pas de l’histoire du design industriel. La dimension pragmatique liée à l’efficacité commerciale est passée au premier plan. Le renversement des principes de l’UX design ne s’est pas effectué par une nouvelle dénomination. Les mots qui les soutiennent : efficacité, accessibilité et facilité d’appréhension ont été transformés de l’intérieur, au niveau sémantique. L’efficacité n’est plus celle de la plateforme pour l’utilisateur (afin de satisfaire sa demande), mais celle de l’utilisateur pour la plateforme. Sa navigation et son temps de connexion doivent être optimisés pour qu’il la nourrisse ; soit par le contenu qu’il y dépose, soit par le temps qu’il y passe. L’accessibilité n’est plus comprise comme une prise en main de l’interface par l’utilisateur, mais comme une prise en main de l’utilisateur par la plateforme qui le guide et l’oriente sciemment pour que les choix qu’il réalise soient induits par ses actions en ligne (l’illusion du choix délibéré est alors une grande force de persuasion puisqu’il est pris par l’utilisateur).
Le retournement sémantique des principes de l’UX peut nous faire penser à nouveau au tournant mercatique du design industriel. La recherche humaniste de produits utiles destinés à engendrer des gains collectifs partagés a été transformée par le paradigme d’A. Smith, car dans le cas de l’UX design, la poursuite du gain individuel ne conduit pas forcément à un gain collectif. Comme l’écrit S. Vial : « [...] la quête humaniste du progrès social s’est réduit à celle, libérale, de la conquête des marchés ». Dès lors, la triade des relations prises entre la forme, la fonction et l’utilité a été substituée à la triade des relations entre la forme, la fonction et le marché.
Dans cette conquête du marché, le design web est utilisé pour structurer notre attention, l’orienter sur ce que les prestataires veulent que nous voyons. Pour cela, « l’économie cérébrale de l’attention » [J-P. Lachaux, L’économie cérébrale de l’attention, in L’économie de l’attention Y. Citton (dir.), La Découverte, Paris, 2014] nous permet de comprendre comment nous sommes attentifs et pourquoi. A la fois régi par le système des habitudes, le circuit de récompense et le système exécutif, notre économie cérébrale de l’attention suit des schémas connus avec lesquels nos comportements sont façonnés.
Dans le cadre de la création de design pour des interfaces web destinées à générer du trafic et/ou à maintenir l’utilisateur actif, le système des habitudes joue un rôle prépondérant. D’abord, avec la standardisation des interfaces web, beaucoup d’éléments sont aujourd’hui partagés. Comme un inconscient collectif partagé, nous cherchons des éléments visuels signifiants souvent disposés aux mêmes endroits (le menu, le logo, la photo de profil, les icones des réseaux sociaux, le panier etc…). Ces formes structurent ce que J-P Lachaux nomme une « carte de saillance » avec laquelle la publicité joue depuis longtemps et avec laquelle le design web peut lui aussi modifier, changer, altérer les codes et les significations afin d’orienter (ou de désorienter) l’utilisateur. En reliant cette carte de saillance aux études d’UX design, nous voyons alors apparaître des “points chauds” et des “points froids”, des espaces de l’interface plus ou moins vus que nous permet de détecter les technologies d’« eye-tracking » (une technologie de suivi du parcours oculaire des internautes).
Ensuite, l’utilisation du système de récompense participe lui aussi du conditionnement de notre attention. Ce mécanisme fonctionne en deux temps, d’abord il s’agit de remarquer l’attrait d’un élément, puis de l’associer au plaisir ou au dégoût. Nous voyons ici comment la nouveauté d’une information peut orienter notre décision dans un sens ou un autre et dévier notre attention vers un élément délaissé consciemment au préalable.
Loin de donner à ces deux systèmes délibérément choisis un pouvoir total et entier sur nos capacités attentionnelles, ils nous montrent comment notre perception peut être aisément détournée par des éléments saillants propre aux interfaces web. Ces éléments peuvent entrer en conflit avec nos actions et nos navigations, s’imposant comme des formes de nuisances visuelles, sonores ou tactiles, des pollutions de notre expérience d’utilisateur. Les plus notables d’entre-elles sont les fenêtres « pop-up » dont les apparitions soudaines et aléatoires sont des freins à la navigation et à la lecture des contenus, marquant des arrêts et des détournements obligatoires de l’attention. Si nous parlons de pollution pour expliquer les phénomènes d’obstructions de l’attention, c’est que cette dernière est une ressource limitée. L’attention, ou le fait de prêter attention, est défini par Jonathan Crary comme notre capacité à : « [...] se dégager d’un champ d’attraction plus large, qu’il soit visuel ou sonore, de façon à s’isoler ou à se focaliser sur un nombre réduit de stimuli » [J. Crary, Le capitalisme comme crise permanent de l’attention, in L’économie de l’attention, Nouvel horizon du capitalisme ? Y. Citton (dir.), La Découverte, Paris, 2014.]. L’intrusion de mécanismes déviant notre focalisation volontairement peut donc être perçu comme une pollution orchestrée de notre champ attentionnel.
Dans cette métaphore de l’attention comme ressource limitée face à un vaste champ de sollicitations extérieures, le principe d’économie attentionnelle nous rappelle que cette dernière est un bien limité par des capacités physiologiques propres aux individus. C’est en connaissance de cause que de nombreux sites usent et abusent des biais cognitifs et des biais de l’attention pour nous maintenir captifs de leurs interfaces. Comme exemple, nous pouvons nous tourner vers le site https://darkpatterns.org/ qui tient une rubrique intitulée « Hall of Shame » dans lequel il recense les sites aux interfaces trompeuses ou utilisant des biais pour orienter notre attention malgré nous. Ces différentes techniques ont peu à peu détourné les professionnels du milieu, ces derniers sortant de leur silence et prenant position contre les pratiques qu’ils ont participé à façonner.
Une prise de conscience
En exploitant les vulnérabilités de la psychologie humaine par le design web, de l’UI (user interface) à l’UX, les designers du web sont pris entre deux pôles qui peuvent s’opposer : la requête de l’entreprise et le respect de l’utilisateur. De l’utilisation des émotions jusqu’au principe d’affordance qui consiste à transformer cette émotion en capacité d’agir (grâce à l’utilisation affective des éléments graphiques), le design voit naître un espace critique au sein de sa discipline. D’abord, en refusant les dark patterns ou les nudges, puis en inscrivant dans le développement des interfaces ce que Camille Alloing et Julien Pierre nomment une affordance affective, soit un principe de design conscient pratiquant une forme d’éducation à l’attention. Voir la Conférence de Camille Alloing et Julien Pierre à “Ethics by design” 2018 conférence sur Viméo. En nous rendant sensible à nos affects pour nous rendre possesseur et maître de notre propre puissance d’agir, le design éthique rejoint les grands principes du design d’interaction qui prévalait au début du design informatique : « Les premiers gestes du design numérique [...] la simplicité d’usage et la convivialité ont gouverné la conception » [S. Vial, Le design. Presses Universitaires de France, 2017].
Avec la croissance des géants du numérique : Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft (plus communément appelés les GAFAM), les recherches, les témoignages, et les découvertes des politiques de ces plateformes en terme de gestion de trafic et de données, certains professionnels et certaines structures se saisissent des problématiques que ces révélations soulèvent pour tenter d’y apporter des réponses et développer des modèles respectueux. En France, De la FING (fondation internet nouvelle génération) aux récentes rencontres annuelles Ethics by Design jusqu’à la fédération informelle de la communauté des UX designers sur la plateforme Slack connue sous le nom de Flupa, qui organise des journées de rencontres et des ateliers entre professionnels, les questions liées à l’éthique dans le design prennent de plus en plus de place. L’émergence de ces initiatives et de ces réflexions, en dépit de leur autonomie, doivent beaucoup aux réflexions en cours sur les algorithmes et sur ce qu’on nomme (abusivement) l’Intelligence Artificielle.
La réflexion sur les biais des programmes et des algorithmes a renouvelé une série de réflexions déjà présentes dans les champs du design et de la psychologie. Sur une échelle plus globale, nombre d’initiatives professionnelles tentent de conduire des projets de guides, ou de manifestes pour des pratiques éthiques du design web. Nous retiendrons celle proposée par Ind.ie, une entreprise du Royaume-Uni établie en Suède qui a dégagé un schéma simple et synthétique pour un design éthique. D’abord, elle place le respect de l’utilisateur comme fondation de leur démarche. Décentralisé, privé, open-source, accessible, sécurisé et durable, telles sont les bases sur lesquelles se dresse un design éthique respectueux des droits humains. Ensuite, les aspects fonctionnels, pratiques et fiables structurent l’effort éthique fait vers l’utilisateur. Enfin, le ravissement et le plaisir d’utilisation recouvrent cette pyramide d’intentions et de jalons nécessaires au développement du produit destiné aux utilisateurs.
Avec l’évolution et la reconnaissance des pratiques et des développements de designs et de produits web éthiques, nous voyons l’émergence d’une valeur philosophique, certains diront morale, se transformer en label de confiance intégré dans des modèles économiques d’entreprises (business model). En France, l’entreprise Qwant, qui développe un moteur de recherche « respectueux de la vie privée » joue de ce « label éthique » comme instrument de communication qu’il oppose au géant de l’internet mondial Google. Nous voyons comment une conduite vertueuse peut être valorisée et élevée au rang de communication commerciale. Toutefois, il ne s’agit là que d’un critère, mais nous voyons comment il pourrait transformer nos pratiques numériques. Il s’agit là aussi de guider l’utilisateur, de faire évoluer ses habitudes en utilisant des techniques « douce » comme le nudge. L’incitation, même pour de bonnes raisons, n’en demeure pas moins une technique de persuasion.
Nous voyons alors que les mêmes techniques consistant à capter l’attention peuvent être utilisées à des fins vertueuses. Il ne s’agit plus de considérer ces techniques comme des pratiques néfastes par essence, mais comme des outils dont l’emploi détermine, libère ou contraint les utilisateurs à un ensemble de comportements dont les limites physiologiques de l’attention définissent le facteur principal qui doit déterminer le design web de l’interface présentée.
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