Bob et Alice se pourrissent

Bob, quelque peu volage et dévoré par le désir de prouver au monde entier sa valeur, trouve Alice, pour qui l’amour parental n’a pas daigné montrer le bout de son nez toute son enfance durant, sur son chemin. Ils s’entendent, bien qu’ils ne se conviennent intellectuellement que modérément, s’attirent, mais toute les parties n’aiment pas aussi passionnément, au début tout du moins.

Le mois suivant, leur couple se forme sur les premiers, mais de loin les derniers, sanglots de Bob apprenant le vide existentiel ayant trouvé résidence dans l’esprit d’Alice. Convaincu de pouvoir y faire quelque chose, fantasmant déjà du jour où il pourra raconter à ses futurs enfants et amis à quel point ce fut une période difficile mais qui ne pouvait que trouver une fin plus qu’heureuse, Bob se missionne de trouver une solution au mal de son amie et de la soutenir, en toutes circonstances, pendant plusieurs mois. Ces soucis pour l’instant contenus, Alice n’accepte que peu de contradictions dans sa conception d’une relation à deux mais le geste devant prolonger la pensée, elle ne se contente guère de l’approbation de son ami et s’assure, comme elle le peut, que sa vision prime et soit intégrée.

La lassitude et l’angoisse s’installent lorsque chaque instant du quotidien doit se faire ensemble, faute de quoi Bob serait immédiatement soupçonné de délaisser Alice. Il s’y est déjà risqué à s’occuper, seul, en sa présence, le jugement est sans appel et les journées très longues: comblées par d’interminables séances de justifications sans quoi le statu quo ne saurait être rétabli. A cela s’ajoute les écarts que Bob se permet, surtout lorsqu’il flirt par messages avec des inconnu(e)s, s’accordant tout seul sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une réelle tromperie à l’égard de l’exclusivité qui lie les deux amants.

Malchance partagée, Alice ne tarde pas à prendre connaissance de ces écarts, lorgnant sur les conversations privées de son partenaire; d’abord de manière purement fortuite, ensuite de plein gré. Cette dynamique dure plusieurs années, bien que vers la fin, chacun admet sa part de responsabilité au sein de cette spirale de souffrance mutuelle. Le constat est unanime, la séparation l’est beaucoup moins, mais a tout de même lieu.

Un mois passant, chacun ayant studieusement appris sa leçon, l’une, dont la vie est aussi agréable qu’une bouchée de poussière, et l’un, estimant que son épisode de jalousie, à l’idée de voir Alice dans les bras d’une autre, signifie qu’il ne saurait partager son coeur entre plusieurs partenaires, décident de s’apprivoiser à nouveau, à condition qu’à la fois le corps et le coeur de Bob soient réservés à Alice et malgré les réticenses de ce dernier à ce sujet. Cette liberté est moins importante que leur bonheur, se dit-il, mais il ne faut pas quelques minutes avant que les angoisses ne reviennent, dents en avant, prêtes à mordre vigoureusement à la moindre dissonance naîssante dans son esprit. Elles mordent, encore et encore. Et le surmoi se réveille, prêt à juger ces sentiments contraires qui le traversent. Leur existence suffit au petit juge pour préparer le plus redoutable des réquisitoires: tu lui arraches cette joie, encore ! N’a-t-elle donc pas suffisamment souffert ? Tu es un imposteur. Tu amènes la souffrance partout où tu vas. Pire, tu en apportes davantage à celles et ceux qui se noient dans la leur. Tu ne rimes à rien.

Quelques jours suffisent à ce travail de sape pour que Bob s’effondre, se confondant en excuse devant Alice pour ne ressentir désormais que de la douleur lorsqu’il se surprend à penser à eux deux, ensemble. De la douleur, de la nostalgie et un soupçon de tendresse pour les quelques doux moments passés en sa compagnie et dans son univers. C’en est fini. Cette histoire trouve sa conclusion dans les larmes des deux parties, l’un pris au piège par ses traumatismes d’une relation violente psychologiquement et l’une désespérée devant les dégâts que tous deux se sont infligés, irréparables, qu’importe les envies de changement et de rendre heureux l’autre.

Les Enfers sont pavés de bonnes intentions. Bien que louables, elles sont généralement insuffisantes et ne vous lavent d’aucune de vos erreurs car, elles, sont bien concrètes et impactent parfois durablement la vie d’autrui, parfois la vôtre.