Vous l’avez vu, j’ai une petite obsession avec cette question du pouvoir. Et le sujet de la coop’ s’y prête particulièrement bien. C’est même pour moi Le sujet. Pour aborder cette question du pouvoir individuel face au pouvoir collectif je vais me prendre un aspect comme exemple : qui décide ce que la coop’ achète. Le raisonnement se transpose facilement aux autres aspects. Je vais décliner trois manières de faire ces choix d’achat que j’ai pu voir dans des coops alimentaires, plus ou moins accentués ou panachés.
I : "Alors moi je propose que l'on fasse une grande réunion pour que l'on décide du fonctionnement de..."
Ah les AGs ! ... Que de sales habitudes n'y avons nous pas pris ! Et forcément dans tout nouveau projet nous avons vite fait de revenir coller là nos modes de fonctionnement habituels. Une coop' peut ne pas y échapper, faute de vigilance. Ou d'un choix politique dommageable. Alors oui c'est mon point de vue, en même temps tu es là et tu te doutes que j'allais pas écrire le point de vue du voisin ! Mais je te laisse pas comme ça, je développe.
Avec le modèle des AGs ou des réunions il y a souvent l’idée qu’il faut bien prendre des décisions à un moment ou à un autre et que la meilleure manière de le faire c’est à la majorité. Rapidement on passe de ‘à un moment ou un autre’ à ‘chaque décision’ sans distinction. Décisions communes pour interdire, encadrer, gérer, etc souvent par peur ou principes. La coop ça peut devenir ça, un lieu où on a des principes et on y déroge pas (par exemple : il faut manger bio, local, sans emballages). Et cette idéologie au niveau du collectif prend le pouvoir sur les individus et leurs préférences, convictions et moyens personnel·le·s.
Cela donne également la possibilité de passer en force sur certains sujets, de s’abstenir de débattre et convaincre dès que l’on a la majorité, casser des initiatives qui ne nous conviennent pas, etc.
Il y a aussi quelque chose de très déresponsabilisant dans ce genre de décision. Les personnes non présentes lors de la décision vont peut être être moins appliqués dans la mise en application, les personnes en désaccord encore plus, et ceux et celles qui ont voté… pas forcément les plus concerné·e·s non plus. Puis si il y a vote c’est qu’il doit bien y avoir quelqu’un qui va le mettre en application, implicitement.
Bref, je suis pas fan. Et je pense que en petit groupe nous pouvons nous organiser autrement.
II : Déléguer la décision à un groupe
Là aussi pratique fréquente. C’est le modèle de la Louve par exemple où ce sont les employé·e·s qui gèrent les commandes. A la Louve les employées auraient décidé que les producteurs locaux ça sera sans (trop compliqué) (voir l’article à venir sur la louve).
Dans d’autres coops’ ce sont des commissions permanentes qui gèrent les commandes. Les membres de la commission, élu·e·s ou désigné·e·s ou volontaires, sont là pour un temps donné.
Dans ces cas là les individus membres n'ont plus ou guère de pouvoir. Le seul pouvoir leur restant est de suggérer et espérer que ça soit accepté.
Et tout ça peut être éventuellement combiné avec des décisions prises au niveau du collectif du tout bio, tout vrac, tout local ou autre. On alors là un combo où finalement il sera difficile d’annoncer aux membres que la coop est un moyen de reprendre du pouvoir sur sa consommation. A l’échelle du collectif la coop permet en effet d’avoir une offre de plus sur son territoire et donc un peu plus de choix et donc un peu plus de pouvoir sur sa consommation. En revanche en son sein les individu·e·s en eux même n’ont pas de pouvoir important de décision sur leur consommation. Dommage dommage…
III : Donner le maximum de liberté et de pouvoir aux individus du collectif
Notre parti pris dans notre coop’, annoncé dès le début et socle du projet : ce n’est pas au niveau du collectif que nous souhaitons avoir du pouvoir mais au niveau de l’individu dans le collectif. Nous élaborons un outil commun qui puisse permettre à chacun·e de vraiment reprendre du pouvoir sur sa consommation. Et que le collectif lui soit une force (par l’effet de masse par exemple) et non pas un nouveau frein.
Au niveau du choix des produits dans notre coop : pas d’à priori. Certes la plupart d’entre nous ont un penchant pour le bio, le local, le peu emballé. Ca les regarde. Celles et ceux pour qui c’est moins une priorité : ça les regarde. Dans les deux cas : la coop est là pour leur permettre d’aller aussi loin qu’il·elle·s le veulent dans leurs choix de consommation.
(Avant de continuer un petit rappel sur la gestion de l’argent à la coop. Chaque membre a une fiche de compte personnel. Sur cette fiche est affiché son solde du moment (toujours positif) auquel il·elle déduit le montant de ses courses au coup par coup. Lorsque le solde diminue beaucoup il·elle le recharge. Cet argent crédité sur les comptes individuels est un pot commun à l’échelle de la coop. C’est cet argent qui constitue le fond qui permet d’acheter du stock.)
Concrètement : pas de commission ‘commande’, pas d’employé·e qui gère cet aspect là (ni aucun, pas d’employé·e du tout en fait ^^). Pas de limitations décidées par une partie du collectif lors de réunions / AG, etc. Qui veut s’occuper de démarcher un·e producteur·rice local·e ou un petit grossiste de son choix le fait. N’importe qui, seul·e ou a plusieurs peut préparer des commandes. La seule contrainte qui se pose à un moment donné est : avons nous assez d’argent dans le pot commun (i.e. la somme des soldes positifs des membres) pour payer les commandes déjà prévues, les commandes régulières et cette nouvelle commande ? Si non alors soit la taille de la commande est réduite, soit repoussée. C’est tout ! On compte ensuite sur la raison de chacun pour ne pas commander 38 palettes d’un produit sans savoir si il va partir ou immobiliser une fortune pendant dix ans.
Vous voyez la différence de dynamique, d’implication, de confiance, de responsabilisation, de pouvoir et liberté donné ? Comment ça change forcément toute la vie de la coop ?
Voilà ça c’est un modèle que je défends actuellement et que j’ai à coeur d’expérimenter.
Comments
November 3, 2019 12:34
Alors que tu détailles les inconvénients des autres possibilités, tu ne propose pas de réflexion critique sur celle que tu défends à part des exemples où justement ça aurait pu dériver vers les deux autres. Est-ce que c'est parce que tu n'as pas encore assez d'expérience et de recul sur l'activité de la coop?
Donner la liberté aux membres de la coop revient à enlever du contrôle sur la manière dont sont gérées les choses, y compris les "achats", mais avez-vous des gardes-fous pour les cas où ça pourrait mal se passer? Pour pas qu'on se méprenne je trouve que c'est une très bonne chose (d'avoir plus de liberté), et il a été montré le fait d'avoir une communauté réduite ~200 personnes permettait de se passer de service d'ordre car les membres étaient responsabilisés par le fait d'appartenir à un groupe. Mais que se passe-t-il dans un cas où des membres estiment mal leur consommation, de façon régulière, et en toute bonne foi, et qu'il prenne plus que ce à quoi ils ont "droit"? Au boût de la chaîne, il y aura forcément des membres qui se retrouveront avec moins non? Y aurait-il un moyen de tracer les mauvaises estimations et de ré-équilibrer plus tard?
La bise pluvieuse !