Tu connais toi une épicerie d’où on ressort enrichi ?

L’impact de l’axe initial du projet (supermarché / épicerie vs. Outil commun)

Un présentateur dont personne ne se rappelle le nom apparaît à l’écran, sourire clinquant, costume tiré à quatre épingles, brushing impeccable.

- «Bonsoir et bienvenu·e·s. Merci de nous suivre chaque soir pour « la coop’ en or » ! Première question à la coop’ ‘lataillecompte’: d’après vous quelles sont les caractéristiques d’un supermarché selon les français·es ?

- « Alors heu… plus c’est grand plus c’est bon ? » , tente un membre de la dite coop’.

- « Alors on regarde… est ce que les français pensent comme vous... », Juju regarde un écran sur lequel après un suspense insoutenable apparaît ‘Jamais assez gros’. « Et oui c’est gagné ! 88 % des français·es pensent comme vous. Une autre proposition ? »

- « Beaucoup de rayons ?... »

- « Hum… Bien, vous l’avez. »

- « Beaucoup de références, des caisses, des codes barres ?»

- « Encore ! »

- « Paiement par carte bleu ou espèce, un stock une gestion du stock en temps réel avec un logiciel, des balances avec des étiquettes ? »

- « Oui, oui, oui ! Oui !! Oh Ouiii !... »

- « Des employé·e·s et des cliente·s ? »

- « … Ouiiiiiiiiiiiiiiii ! !! »

- « Pas de marge, responsabilisation des individus, redonner du pouvoir sur la consommation, lieu de prise d’initiative, autogestion ?... », tente le mouton « noir » du groupe.

- « Hein ?! Noooon ! Qu’est ce qu… argh… pourquoi... en plein... Bon, une page de pub ».


La cocoricoop c’est trop au toooop !

La cocoricoop explose la biocoop !

La cocoricoop : glop glop !


L’émission reprend, animateur au grand sourire, les joues un peu rougies, le brushing en a pris un petit coup.

-  « De retour à ‘la coop’ en or’, et cette fois c’est avec la coop’ ‘lautogestioncestnonlaparticipationcestoui’ nous avons la question suivante : à quoi les francais·es associent « supermarché coopératif » ? »

- « Han… alors là.. je sais pas… faut que je réfléchisse un peu... »

- « On vérifie ! »

- « Hein ? Mais c’était pas ma réponse.. »

- « Et... », le présentateur ne fait pas cas de l’interruption et regarde l’écran qui affiche triomphant ‘Kézako ?’, « Bravo ! 99,9999 % des français·es ont répondu comme vous ».

- «  Ah.. Heu.. Cool. C’est aussi la Louve, la Cagette, la ... »

- « Vérifions », s’affiche alors ‘La Louve et ses clones’, « Bien joué. Autre chose ? »

- « Des AGs (toussotte), une SCOP, un temps minimum de participation, des sanctions, des marges de 20 % ? »

- « C’est la grande forme ! C’est oui pour tout ! »

- « Pas de marge, responsabilisation des individus, redonner du pouvoir sur la consommation, lieu de prise d’initiative, autogestion ?... », tente le mouton « noir » de cette seconde coop’.

- « Argh… », le présentateur se tourne vers quelqu’un hors champs et lâche entre ses dents « vire moi ce guignol... magne… nos sponsors...», puis revient face caméra « Moment idéal pour une courte page de pub ! ».


La cocoricoop je dis jamais stop !

La cocoricoop c’est plus mieux que ma clope !

La cocoricoop c’est pas une sal°°°!


J’ai récemment lu des commentaires sur un réseau social de personnes qui veulent lancer un « supermarché coopératif ». Tu l’as compris, ces simples mots amènent avec eux un tas d’images et donc à eux seuls conditionnent largement la forme d’un projet qui s’en revendique. C’est surement très bien. Ça ne m’intéresse pas. Moi mon dada c’est plutôt l’expérience de l’autogestion.

Quand l’idée est venue de lancer une coop je n’ai pas pensé à «montons un supermarché, ou une épicerie ou une coopérative alimentaire ». J’étais en recherche de projets où expérimenter de l’autogestion avec d’autres personnes que des convaincues. Par ailleurs ça me semblait dans l’air du temps et de mon côté avec 3-4 personnes nous avions un mini groupement d’achat (via une biocoop dont nous n’étions pas satisfaits) et que nous n’arrivions pas à étendre à plus de monde. L’idée d’une coop’ faisait d’une pierre deux coups.

LA question fut alors de comment créer un outil le plus impliquant possible, le plus horizontal possible, dont chacun·e peut se saisir le plus facilement possible, offrant le plus de liberté possible et permettant le plus de prise d’initiative personnelle possible. Ça fait plein de fois le mot « possible » mais c’est ayant cet angle là que ce champs des possibles nous est ouvert. Du moins aussi facilement. Si nous avions exposé au départ simplement le projet de monter une épicerie ‘participative’, nous aurions peut être pu atteindre un fonctionnement similaire ou qui poursuit les mêmes buts mais je pense avec de nombreuses difficultés supplémentaires : en ayant à lutter avec la représentation initiale de ce qu’est une épicerie dans la tête de chacun·e. Et ça n’aurait surement jamais été aussi légitime et aussi accepté (voir revendiqué) par les membres. Là nous avons pu construire quasi à partir de rien et assembler les pièces au fur et à mesure des besoins et envies. Ça nous a permis de nous lancer avec un truc qui ressemblait à tout sauf à une épicerie, dans un local ‘défraichi...’, pas d’enseigne, avec quatre étagères de récup et seulement 2000 euros de stock pour une cinquantaine seulement de référence (dont pas mal de pâtes et de riz), sans plan de com’, sans ‘étude de marché’ (on nous demande souvent si on en a fait une, alors que clairement, avec notre angle d’attaque : on s’en fout ! Rien à voir), sans savoir si on allait pouvoir payer le loyer plus de trois mois, comment ça se passait pour avoir des produits frais et à une petite vingtaine de personnes ! Ça aurait été dur à envisager (voir suicidaire) si nous avions eu en tête d’ouvrir un commerce ou « épicerie ». J’ai eu la remarque au départ de quelques personnes de l’image peu sérieuse que ça pourrait donner du projet de démarrer avec quelque chose d’aussi peu pro, que des personnes pourraient venir voir, trouver ça bof et ne pas revenir. Pour une épicerie, je comprends carrément. Pour le projet d’un collectif qui se fait confiance et se lance dans une aventure, prend des risques (mais pas tant en vrai), met en avant des valeurs chouettes, passe pas mille ans à en débattre et a envie d’expérimenter et s’est débrouillé avec trois bouts de ficelle pour proposer quelque chose de nouveau dans le coin : ça avait déjà de la gueule ! Et c’était l’invitation à prendre le train en marche près de la gare et pas une fois lancé à pleine vitesse et figé sur un fonctionnement donc une preuve et un gage de notre volonté d’en faire un outil par chacun·e et pour chacun·e.

Dans la même veine à plusieurs reprises j’ai eu des remarques du genre « oh mais vous avez pas de tel produit ? C’est bizarre pour une épicerie, les gens ça va pas leur plaire » ou « Oh vous ouvrez que trois fois la semaine, vous allez avoir du mal à attirer des gens » (des remarques majoritairement de personnes qui étaient extérieures au projet et à qui on en parlait, mais pas que !). Ces discours sur comment ça devrait être, pourrait être, ce que les gens devraient faire ou ne pas faire, ce que l’on devrait trouver en rayon, il m’a été possible de les désamorcer dans ces échanges (et donc ne pas plier à tout ce que « devrait être » ce projet) en expliquant que c’était pas une épicerie mais un outil commun où ce qui était central c’est les apports de chacun·e et les usages de chacun·e. Et que ce que l’on ne trouve pas à la coop c’est que soit personne en pratique n’en veut ou que personne ne s’en donne les moyens. Dans les deux cas : tant pis si ça ne correspond pas à l’image d’une épicerie. Ce discours, comme dit plus haut, si il n’avait pas été là dès le début et revendiqué comme socle il aurait été plus difficile (et surement moins légitime) de l’énoncer plus tard (en tout cas moi j’aurai peut être pas osé!). Finalement si notre coop’ ne devait afficher qu’une « valeur » il me semble que ça serait un truc du genre : « je suis à tout moment ce que vous faites de moi et seul ce que vous faites de moi est ce qui doit être ». Et pour celles et ceux qui ne veulent pas faire cette expérience il y a des biocoop ou le rayon bio du supermarché du coin.

L’impact de l’axe initial du projet (épicerie ou outil commun) j’ai pu le constater également dans d’autres coopératives alimentaires autogérées (ou dites autogérées). Par exemple avec l’exemple de Creil qui est assez édifiant sur le sujet, parti sur un projet de supermarché puis finalement d’épicerie davantage autogérée et comment chaque étape a laissé des traces sur ce projet et en fait quelque chose de… un peu bâtard j’ai l’impression et dont je n’ai eu que des échos peu élogieux.

Tout ceci n’est que mon expérience personnelle, comme tout ce que je raconte sur ce blog et ça ne se prétend pas preuve. J’ai mes biais ! :D Et ma petite culture scientifique (et éventuellement sceptique) m’oblige à vous (et me) rappeler de prendre ça avec précautions. J’espère néanmoins par ce partage nourrir des réflexions (dont les miennes).

En résumé : la coop’ c’est pas une épicerie, c’est un outil commun, mieux : c’est une expérience. Tu connais toi une épicerie d’où on ressort enrichi ?

Des bises et hésite pas à partager ton expérience et ton point de vue !