Vivre de l'artisanat, on est pas tous pareils

Être couturier, développeur de logiciels, potier ou écrivain. Des métiers de création à façon qui sont davantage de la dévotion que de la rémunération. Enfin, pas pour tous…

— « C'est vous qui fabriquez tout ça ? » — « Oui, bien-sûr. Il y a même ma machine à coudre juste là. Je fabrique tout ça ici » — « Mais c'est 55€ un sac ? Ca doit pourtant vous prendre 4 ou 5 heures à fabiquer. Et c'est du patchwork. » — « Oui, exactement. C'est rare que quelqu'un sache combien de temps ça prend. » — « Si en plus on retire le coût du matériel, le local, les contributions, ca ne vous laisse pas grand chose. Comment vous faites pour en vivre alors ? » — « Oh, je comptais avant mais je ne le fais plus, ça me désespérerait ! Je fais des sacs, et c'est tout. Je me suis mise en auto-entrepreneuse, ça me fait moins de charges, j'en fabrique la journée et je tiens la boutique en même temps. C'est une passion, alors on ne compte pas… »

Je me suis mis moi-même à la couture. Ca m'a interrogé sur pas mal de choses autour de l'artisanat. Je m'aperçois que c'est assez répandu

— « T'as un nouveau sac ? Il est chouette ! » — « Ah oui, merci. Au fait, tu penses que ça vaut combien ? » — « Je sais pas, peut-être 20€ ? » — « Et si je te dis que c'est intièrement fait à la main en France ? » — « Ah, tu sais que je suis sensible à ce genre de choses et que je met plus d'argent pour la fabrication locale. Je pourrais dire jusque 25€ alors. »

Il faut savoir que ce sac est basé sur des tissus achetés localement au mètre, avec une corde d'une mercerie locale aussi. Rien que pour la toile, la doublure en tissu et la corde, il y en a pour 10€. Sachant que le sac met 3 heures à faire quand on sait faire et quand on ne se trompe pas, qu'il est resistant à l'eau et qu'il a une durée de vie de plusieurs années. Je vous laisse estimer la valeur donnée au sac et sa viabilité pour l'artisant.

En contraste, un développeur est une autre forme d'artisan. C'est un écrivan du code qui architecture des logiciels. Un peu à mi-chemin entre ses alter-égo sur papier (enfin, pour les rares architectes et écrivain qui ne se sont pas dématerialisés). Cependant, les rémunération sont plus de l'ordre de 60 à 120€ de l'heure, soit 6 à 30 fois mieux payé. Et ça, c'est sans compter le temps que va mettre un artisan à vendre sa production, le temps et le matériel qui en découle.

Quand je m'interroge sur ce qui crée ces écarts si énormes, je trouve plusieurs réponses. Il y a d'abord l'offre et la demande. Tant de « besoin » de développeurs, et moins que « nécessaire » qui répondent.

Il y a aussi un autre fléau qui est moins nouveau, c'est celui de la course à l'industrialisation et à la surconsommation toujours moins chère. On dit souvent que « avant, ca durait plus longtemps ». Une machine à laver, une chaine, un meuble duraient des décennies. Maintenant, c'est quelques années au mieux. Mais proportionnellement, quelle pourcentage du salaire mensuel net coutait une table ou un appareil photo ?

Pour son anniversaire, ma mère avait acheté un appareil photo à mon père. Ca l'a marqué qu'elle lui offre un matériel si cher. Ca n'était pas 100 ou 500€ ; c'était un moins complet de salaire d'une travailleuse. C'était du bon matériel, certe, mais aujourd'hui un amateur confirmé ne mettrait plus ce budget qui serait réservé à un professionnel.

Dans la confection textile, la Chine, le Cambodge, l'Inde, Le Primark, le Pakistan, H&M, Lafayette sont des concurrents déloyaux pour les fabricants. Rare sont les produits qui peuvent encore se placer face à ces marchés, et ceux qui le font sont soit en dessous du SMIC horaire, soit dans le luxe (pour ceux qui ont pris le soin de ne pas délocaliser).

Dans les pays occidentaux a commencé un nouveau regain pour le local en terme d'alimentation avec le bio (en pondérant avec tous détournements que ça entraine et sur lesquels je n'étayerai pas), les AMAPs, les marchés des maréchers et de nombreuses autres initiatives. J'ai assez confiance en cette recherche, donc les bobos sont les hypsters initiatiques, pour encore croire que la place à une déconsommation pondérée par une renaissance de produits valorisés par l'âme qu'ils portent retrouveront une place suffisante pour nourrir leurs auteurs à une valeur plus juste.